La notion de compétence n’est pas aussi formalisée que la capacité professionnelle. Elle renvoie aux connaissances initialement et ultérieurement acquises indispensables à l’exercice d’une profession. Mais celles-ci peuvent varier en fonction de la pratique, de l’expérience ou de la formation continue des praticiens. On se situe là dans le domaine du « savoir-faire » alors que la capacité professionnelle définit le "pouvoir-faire" [1].
La capacité du chirurgien oral est liée à l’obtention du diplôme de docteur en chirurgie dentaire ou de docteur en médecine et d’un diplôme commun, le diplôme d’études spécialisées en chirurgie orale (DESCO). Cependant la malheureuse affaire de Mark Van Nierop rappelle que la compétence ne peut se limiter au seul examen du diplôme. En effet, cette tragique histoire montre que l’on peut perdre sa compétence tout en conservant son diplôme.
Reconnaissons une habilité certaine à la Société Française de Chirurgie Maxillo-Faciale de Stomatologie et de Chirurgie Orale (SFCMFSCO) qui, pour définir la chirurgie orale, ne s’aventure pas sur le terrain de la capacité mais sur celui du "champ de compétence", en le limitant à "l’intrabuccal".
Le code de déontologie des chirurgiens-dentistes dispose que :
« sauf circonstances exceptionnelles, le chirurgien-dentiste ne doit pas effectuer des actes, donner des soins ou formuler des prescriptions dans les domaines qui dépassent sa compétence professionnelle »
On trouve ici, a peu de choses près, la même définition que l’Ordre des médecins pour la capacité professionnelle.
Comme c’est le Conseil National de l’Ordre de chaque profession qui veille à la compétence de ses ressortissants [2] on comprend mal sur quel critère la SFCMFSCO pose la limite de compétence en chirurgie orale [3], cette discipline étant commune à l’odontologie et à la médecine. A moins bien entendu que cette limite à "l’intrabuccal" se destine aux seuls médecins ...
A défaut d’indication contraire de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, la limitation du champ de compétence de la chirurgie orale à "l’intrabuccal" n’est pas recevable pour les odontologistes.
Toute intervention professionnelle non fondée sur une compétence effective peut entraîner une sanction disciplinaire par l’Ordre [4]. Or, aucune sanction de ce type n’a été prononcée à l’encontre des chirurgiens-dentistes pratiquant des actes chirurgicaux lourds, même avant la création du DESCO, dès lors qu’ils pouvaient justifier d’une compétence.
A ce titre, tous les types de chirurgies figurant dans la maquette de la chirurgie orale dont notamment :
sont a priori des compétences du chirurgien oral.
Cependant il faut garder à l’esprit que, compte tenu de la disparité de l’enseignement au niveau du territoire, en dernier recours ce sont les Ordres de chaque profession, et eux seuls, qui sont à même d’apprécier si cette compétence est réelle ou non.
Une fois de plus l’histoire est riche d’enseignement. En effet en réaction à l’avènement du diplôme d’études supérieures (et non spécialisées !) de chirurgie buccale (DESCB) pour les odontologistes, la Fédération de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-Faciale édite en 2006 un Livre Blanc de 70 pages intitulé "La stomatologie en France. Situation actuelle et perspective".
Ce document tire à boulets rouges sur les odontologistes et suivant une rhétorique bien connue va jusqu’à conclure que "La chirurgie buccale doit donc demeurer une exclusivité de la médecine [5]."
Il faut reconnaître que ce Livre Blanc, certes excessif, cosigné par les plus grands noms de la chirurgie maxillo-faciale Française soulève certains problèmes pratiques bien réels, du moins à l’époque du DESCB. Mais là n’est pas le fond de la question qui est de savoir pourquoi l’institution médicale a opéré pour le DESCO un virage, presque à 180°, vis à vis des odontologistes ?
Effectivement nous sommes aujourd’hui très loin du climat instauré par le Livre Blanc. D’aucuns s’en félicitent, c’est compréhensible et beaucoup voudraient que l’on en reste là. Mais cela n’est pas suffisant.
En 2011 La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale publie un long éditorial intitulé "La stomatologie va-t’elle survivre ? " où sont transcrits les propos d’un responsable de la profession expliquant son changement d’attitude vis à vis des chirurgiens-dentistes :
« Je ne veux pas nous vendre aux dentistes, je veux ‘acheter’ les dentistes qui veulent être ‘chirurgiens’ » [6]
Dont acte ... ! Après tout un marché est un marché ... du moment qu’il est légal et que les termes en sont respectés ; mais qu’avaient donc à vendre les ’dentistes’ pour valoir le prix d’un ’chirurgien’ ?
Il ne fait aucun doute que ces sombres transactions ont réunis des acteurs du monde dentaire et médical qui ont tout simplement envisagé un échange de compétences : échange d’une compétence odontologique contre une compétence médicale.Or si échange il y a, c’est bien que l’une et l’autre des parties reconnaissent un manque dans leur formation initiale.
Malheureusement tout porte à croire que du côté médical on aimerait aujourd’hui reconstruire des frontières devenues caduques du fait de la formation commune et du partage de savoir. Quelle importance qu’un ’dentiste’ ne soit pas médecin, ou réciproquement, puisque le diplôme ne signe pas la compétence ? Peu importe que l’on ait appris l’odontologie d’abord et la médecine après, ou l’inverse, pourvu que l’on soit compétent à la sortie !
Ainsi, forte du label ’Odontologie’ qui lui manquait cruellement au niveau Européen [7], label dûment validé par l’officialisation de son passage chez les ’dentistes’, l’autorité médicale s’apprêterait à jouer la perfide Albion en n’honorant pas les termes initiaux du contrat.
Certes rien n’oblige la discipline médicale à poser son sceau sur la compétence chirurgicale des odontologistes qui n’en n’ont d’ailleurs pas besoin. Peut-être estime-t’elle que la chirurgie-dentaire lui appartenait de toute façon, ce qui est historiquement exact, et qu’en définitive elle n’a rien gagné ? Certainement pas, sinon le ’marché’ d’échange de compétences n’aurait pas eu lieu. Un minimum d’honnêteté aurait le mérite d’apaiser les tensions et de laver des liens noués sur des bases douteuses.
La chirurgie orale serait, au moins en partie, le fruit d’obscures tractations dont certains promoteurs, pas forcément médecins, verraient d’un bon œil que les odontologistes soient finalement laissés pour compte.
Car l’odontologie avait quelques intérêts à ’se vendre’, scénario vraisemblable si on considère la position de la spécialité en Médecine Bucco-Dentaire sur l’autel de laquelle le sacrifice de quelques chirurgiens-oraux donne le change pour un statut durablement établi vis à vis de l’autorité médicale, à défaut d’avoir une équivalence Européenne. De fait, l’ire des médecins épargne cette spécialité pourtant bien ’médicale’ ...
Quoi qu’il en soit l’heure n’est pas à la chasse aux sorcières, le plus important est fait, la chirurgie orale existe même si elle résulte d’un compromis inattendu. Très rapidement les jeunes praticiens se l’approprieront. Désormais elle leur appartient, souhaitons qu’ils n’oublient pas que la meilleure des frontières, c’est la paix.
[1] La HAS conteste notre activité professionnelle - La Lettre n°63
[2] La HAS conteste notre activité professionnelle - La Lettre n°63
[3] limite d’autant moins compréhensible qu’il semble qu’un projet de commissions puisse qualifier le DESCO médecine en stomatologiste et réciproquement
[4] La HAS conteste notre activité professionnelle - La Lettre n°63
[5] Rapport de session du CNOM - Livre Blanc - La stomatologie en France - p24
[6] Editorial de La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale -n° 325 - avril-mai-juin 2011
[7] A ce sujet on lira avec intérêt l’article "La chirurgie maxillo-faciale, odontologie et nominations" - Revue de Stomatologie et de Chirurgie Maxillo-faciale 02/2010 ; 111(1):5-6
Au moins 2.000 patients ont été victimes des centres dentaires à bas prix Dentexia. Ils ont payé pour des soins qui n’ont jamais été réalisés. Le 29 avril, l’IGAS a été saisie du dossier et des numéros dédiés ont été mis en place pour les patients. Retour sur un scandale sanitaire et financier.
Après plus de 12 mois d’interruption le site de l’assurance maladie a réouvert la consultation en ligne des tiers payants pour les praticiens spécialistes inscrits régulièrement à l’ordre.
Cette injustice est enfin réparée même si on peut encore regretter le manque de réactivité des services informatiques de la CPAM.
100% des DESCO médecine passent en commission de qualification de stomatologie alors qu’une minorité de DESCO dentaire s’inscrit à l’ordre comme spécialiste.
A qui profite la spécialité en chirurgie orale ?